L’enjeu de la qualification juridique des NFT face à la fiscalité française
Pourquoi payer 30 % de "flat tax" quand 0% est prévu pour la cession d’œuvres d’art de moins de 5000 € et seulement 6,5% de taxe pour les biens supérieurs à 5000 € ? (taxe forfaitaire sur les cessions d’objets d'art, de collection, prévue aux articles 150 VI et suivants du CGI.) Il s’agit en fait d’un simple problème de définition juridique résultant de deux phénomènes : la traditionnelle méfiance de Bercy envers le monde de la Blockchain et la perpétuelle lenteur législative.
Les NFT ne cessent de faire couler l’encre des journalistes, crypto-investisseurs et commentateurs juridiques plus ou moins avertis. On entendra ici NFT dans un sens raccourci : les œuvres de l’esprit (réservons-nous le terme de création artistique pour plus tard). Car oui, peu importe l’appréciation subjective de la qualité esthétique de tel ou tel « NFT », nous envisagerons ici que chacun de ces tokens est une œuvre unique, non reproductibles et issus de la création d’un esprit humain. Nous mettrons donc de côté les NFT spéciaux, créés de manière automatique par une intelligence artificielle, car ceux-ci mériteraient un article sur leur qualification propre.
L’enjeu de la qualification des NFT comme œuvres d’art ou non paraît de prime abord accessoire pour le néophyte et les amateurs de crypto-monnaie, d’autant que ces derniers, au moment de revendre leurs NFT se seront mis en tête que la flat tax arrivera sur leur belle plus-value (30%) qu’ils régleront par habitude de la fiscalité des crypto monnaies. Pourtant, il existe une autre fiscalité bien plus intéressante concernant les œuvres d’art dans le marché traditionnel « physique », fiscalité que le Trésor Public semble esquiver en définissant chaque NFT comme l’équivalent d’un vulgaire token de crypto-monnaie. Il convient alors de revoir l’enjeu de la qualification juridique des NFT et de sa conséquence fiscale pour les collectionneurs.
NFT œuvre d’art ou actif numérique ?
Vous ne trouverez pas d’article de loi définissant les NFT en droit français. Il faut donc se pencher sur le terme d’actif numérique qui englobe tous vos chers tokens, il s’agit de l’article l. 54-10-1 du code monétaire et financier : « bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ». Bien loin de la définition d’une œuvre d’art, on observe surtout que le législateur ne se prononce pas sur le caractère fongible ou non de son « actif numérique » qui ne distingue pas un Dogecoin d’un artwork NFT créé par un artiste même reconnu. Et c’est ici que le bât blesse, car qui dit équivalence de définition dit équivalence d’imposition. Pourtant, qui peut sérieusement comparer une création artistique, un objet de collection, si immatériel qu’il soit, à un actif purement financier comme le Bitcoin ?
Il s’agit donc d’une mauvaise foi fiscale bien arrangeante pour Bercy qui, par son silence, refuse la qualité d’œuvre d’art aux créations NFT. Néanmoins, tout porte à croire que le marché des NFT est équivalent au marché de l’art et que la qualité juridique de ces œuvres ne peut que rentrer dans le champ de l’article 98 A annexe 3 du code général des impôts dans son 1° « Tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l'artiste, à l'exclusion des dessins d'architectes, d'ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ou similaires, des articles manufacturés décorés à la main ». Cet article ne conditionne pas le caractère artistique d’une œuvre d’art à un support matériel ou non mais à son caractère unique et produit de l’esprit de l’artiste. La définition même d’un NFT étant son unicité cela ne pose pas de problème, quant à l’exécution par l’artiste, il suffit de retirer du raisonnement les quelques NFT créés de manière aléatoire par ordinateur, et encore le programme de création aléatoire n’est-il pas une création humaine ?
Il est alors honnête d’en tirer la conséquence suivante : Les créations artistiques bénéficiant de la technologie NFT sont des œuvres d’art pour autant qu’elle soit l’œuvre d’un artiste anonyme ou non. Le NFT est alors le support de la création artistique. De cette qualification va alors découler d’intéressantes applications fiscales en faveur des collectionneurs.
Des conséquences fiscales très importantes
Partons du raisonnement ci-dessus et tirons en les conséquences fiscales. Celles-ci sont expéditives et sans appel : dans le cadre d’une cession d’une œuvre d’art vous échappez à toute taxe si la vente du bien ne dépasse pas 5000 € (ici, c'est la vente d’un seul bien qui est comptabilisé, si vous en vendez plusieurs il faudra isoler chaque bien pour éviter d'atteindre rapidement le plafond). À partir de 5000 € vous tombez sous le coup de la taxe forfaitaire sur les cessions bijoux, objets d'art, de collection ou d'antiquité prévue aux articles 150 VI et suivants du CGI. Cette taxe de 6,5 % est comptée dès le premier euro (par une incohérence fiscale vous gagnerez donc plus à vendre un bien 4999 € que 5000 €…). Conclusion : votre NFT acheté 1 € et revendu 10 000 € serait soumis à 650 € de taxe et non au 3000 € de flat tax, ce qui deviendrait très intéressant pour les grosses plus-values.
Mais pas si vite, tout cela serait bien trop simple si nous ne mêlions pas le marché des NFT aux transactions en crypto monnaies. En effet, toute cette fiscalité avantageuse ne concerne que les biens payés en euros. Le marché des NFT étant très majoritairement négocié en crypto monnaies, vous vous retrouverez avec une somme en crypto (ETH, SOL etc…). Malheur, vous retombez donc dans la flat tax si vous souhaitez convertir ces tokens en euros. Dans la majorité des cas du marché l’équation fiscale devient alors sensiblement plus compliquée si l’on veut bénéficier du meilleur régime fiscal : acheter des NFT avec des crypto monnaies ? Oui, mais celles-ci ne doivent pas être soumises à la flat tax (pas de plus-value faite ou alors plus-value déjà réglée, preuve à l’appui). Et, à la revente, optez pour un règlement en euros de votre NFT. Ainsi, vous n’aurez pas à déclarer la somme en crypto monnaie et donc être soumis au 30%.
Alors vous allez nous dire « Qui achète des NFT en euros de nos jours ? » encore un problème donc… Mais il convient d’être réaliste, seules les ventes en euros des NFT pourront bénéficier d’une exonération ou de la taxe de 6,5 % du moins durant ces prochaines années. Le législateur comme le Trésor public, même s’ils conviennent d’une meilleure définition du NFT dans le futur, ne détaxeront pas les crypto monnaies servant à l’achat-revente dans le marché des NFT. Cependant, en termes de droit des successions, il est très probable que l’héritier d’un NFT bénéficiera après cession en euros, de la fiscalité des objets d’art « traditionnels » plus avantageuse que la vente des actifs financiers, ce qui pourra bouleverser les optimisations fiscales de la personne souhaitant organiser sa succession. En effet, hériter de crypto-monnaies ne fera pas sauter la flat tax au moment de la revente en euro, alors qu’hériter de NFT, même acquis avec des crypto-monnaies, aura à terme la même fiscalité à la revente qu’un tableau XIXe.
En l’état actuel du droit applicable, les NFT sont toujours considérés comme des actifs numériques malgré la publication d’une question écrite au Sénat (n° 22200 publiée dans le JO Sénat du 15/04/2021). Question à laquelle la chambre haute n’a toujours pas répondu depuis presque un an. On peut cependant estimer que la requalification juridique des NFT verra le jour soit par le fait d’une volonté de régulation (une taxe spécifique, des contraintes légales pour accéder à une fiscalité plus avantageuse…). Il pourra aussi en être de même lors de la conclusion d’un litige, par création jurisprudentielle, c'est à dire lors d’une décision de justice d’un contribuable refusant de payer la flat tax sur la revente d’un NFT, ce qui semble moins probable…