Les difficultés d’adaptation du droit français face aux NFT
Si nous avons déjà évoqué dans un précédent article les problématiques fiscales liées à la qualification juridique des NFT en droit français, il est important d’envisager les difficultés d'adaptation des NFT dans les différentes branches du droit. En effet, plus que des préoccupations fiscales, les NFT et la technologie de la blockchain posent des problèmes légaux pour la pratique du droit que ce soit pour le droit de l’exécution et le droit pénal.
La France juridiquement en retard ?
Concernant le droit français, on peut souvent lire dans la presse généraliste une lenteur du législateur qui semble dépassé par l’évolution très rapide du marché crypto / NFT. Cependant, il convient de relativiser cette information : La France est le premier pays au monde à légiférer en considération de la technologie blockchain, grâce à la réglementation des « minibons » créée en avril 2016. Alors que la France a adopté une approche tactique, en décembre 2017, un autre règlement sur les titres financiers a suivi, rapidement complété de dispositions dans les articles 85 et 86 de la loi sur les actifs numériques. Enfin, la loi Pacte du 22 mai 2019 a introduit au sein du code monétaire et financier deux notions définissant l’« actif numérique » dont nous vous donnons les grandes lignes dans notre article sur la qualification juridique des NFT en droit français.
Le droit Suisse semble alors plus pertinent puisque l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers a été le premier des régulateurs des marchés à proposer, dès février 2018, dans un guide pratique, une liste pour catégoriser les crypto-actifs. Celle-ci distingue les jetons de paiement, les jetons d'utilité et les jetons d'investissement dans une grille d'analyse adoptée par la suite par la plupart des régulateurs.
Comprendre le droit applicable pour saisir les enjeux
Pour l’instant, au niveau du droit en vigueur, il n'existe pas de réglementation spécifique pour encadrer les NFT, si l'on prend la définition de l'article L552-2 de la loi du code monétaire et financier, un token est « bien incorporel représentant sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés, au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».
Or, si un NFT est un bien incorporel, il fait donc partie du patrimoine d’une personne physique ou morale (une société par exemple). Il entre donc dans le champ des articles 2284 et 2285 du code civil, qui définissent le gage général des créanciers (le droit de saisir les biens de ses débiteurs) :
Article 2284 : « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »
Article 2285 : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s’en distribue entre eux par contribution.»
Dans le cadre d’un litige, les propriétaires de NFT débiteurs peuvent donc légalement se faire saisir leur NFT par voie d’huissier de justice dans le cadre des procédures civiles d’exécution. Saisie possible, mais loin d’être facile…
Les NFT et les procédures de saisies
Les procédures civiles d’exécutions françaises permettent aux jugements d’avoir une réelle portée dans le cas où un débiteur refuse de payer son créancier en forçant le paiement de celui-ci par l’intermédiaire d’une saisie. Mais cela devient très vite compliqué avec les NFT.
En effet, on doit distinguer déjà deux cas de figure : la détention par le propriétaire par l’intermédiaire d’un cold-wallet (ex : Ledger) ou le dépôt du NFT sur une plateforme qui devient tiers à l’action de saisie.
Dans le premier cas de figure, il s’agira d’une saisie-vente. Cette procédure rendra le bien indisponible (sanctions pénales à l’appui) et obligera le détenteur à la vente du bien selon des modalités précises ou bien à la vente aux enchères judiciaire du NFT (qui a toujours été possible contrairement aux ventes aux enchères volontaires).
Dans le deuxième cas de figure, l’huissier devra demander à la plateforme le gel du NFT par l’intermédiaire d’une procédure de saisie appréhension entre les mains d'un tiers (plus précisément une saisie des droits incorporels).
Les habitués de la technologie blockchain et des NFT auront alors vite compris le problème : si la procédure est valable, l’anonymat des adresses cryptos rend quasiment impossible l’information du créancier comme de l’huissier de l’existence de ces actifs.
À titre informatif, l’huissier de justice mandaté par le créancier ne peut obtenir sur le débiteur que les informations suivantes : les comptes en banque détenus en France (par l’intermédiaire d’une consultation du fichier national FICOBA), le domicile et l’employeur (avec une enquête dite « Béteilles »).
Dans le cas où le créancier aurait réussi à avoir cette information de détention par son débiteur d’un NFT lui permettant de couvrir ses dettes, un autre problème arrive encore. Dans le cadre d’une détention sur une plateforme étrangère, ce qui concerne la grande majorité des propriétaires de NFT, les procédures de saisie internationale par voie d’huissier peut être longue, coûteux et quelques fois, en pratique, quasiment impossible à exécuter.
Pour les détentions sur une clef physique, les difficultés liées à l'accès aux NFT subsistent si la clé privée est conservée sur un appareil de type Ledger ou Trezor. En effet, pour déverrouiller l'appareil, un mot de passe est requis. Ici, il ne s’agit pas vraiment d’une difficulté, car des sanctions existent pour les débiteurs refusant d’obtempérer à une procédure d’exécution (astreintes, sanctions pénales).
Une impunité pénale des arnaqueurs en ligne ?
Problème encore une fois liée à l’anonymat, la justice peine à sanctionner les auteurs de scams en ligne pouvant pourtant accumuler frauduleusement des dizaines voire centaines de milliers d’euros.
Une des fraudes les plus courantes va être l'hameçonnage qui peut vider les portefeuilles numériques des utilisateurs, voire les comptes en ligne capables de stocker les informations financières et les crypto monnaies des internautes. Mais encore, et cela se rencontre souvent dans le marché des NFT, les phénomènes de "rug pull" qui consiste à créer une hype virtuelle autour d'un projet qui n'ira nulle part, en récupérant de l'argent des acheteurs en promettant sciemment des fausses informations sur de prétendus bénéfices de détention de leurs NFT. Si l’infraction d’escroquerie est bien applicable en l’espèce (Article 313-1 du Code pénal : 5 ans d’emprisonnement et 375.000€ d’amende.) l’application de la sanction par la justice française, dont dépend la victime, est tout autre.
Par principe, le marché des NFT est international et passe par des échanges en crypto monnaies. S’il est tout à fait possible de porter plainte pour escroquerie, il vous faudra connaître le vrai nom de la personne derrière l’escroquerie, tout le monde comprend bien ici que cela est quasiment impossible… De plus, vous ne pourrez pas bénéficier des assurances habituelles, pour les paiements en Cartes bancaires en euro, où votre banque peut vous rembourser le montant du préjudice subi. Ici, le paiement en crypto étant définitif, vous ne serez remboursé qu’à partir du moment où l’arnaqueur sera condamné, jamais donc…
Le droit pénal semble donc bien impuissant contre ces scams très réguliers dans le marché des NFT. Une des seules possibilités serait d’attribuer à certaines plateformes sérieuses des habilitations spéciales qui encourageraient des assurances à garantir les paiements, mais nous n'en sommes pas encore là.
Pour ces plateformes, un espoir est possible dans la mise en jeu de leur responsabilité en cas de fraude par l’intermédiaire de la marketplace. On retrouve ce même mécanisme dans la résolution des plaintes en cas de dysfonctionnement technique ayant entraîné une perte. Récemment, un collectionneur a porté plainte le 18 février 2022 contre OpenSea au Texas en reprochant à la plateforme un bug sur le listing entraînant la vente de son NFT à un prix en dessous du marché et sans sa volonté.
Pour conclure, il est évident que la force du marché crypto / NFT se trouve en partie dans son anonymat, mais celui-ci rend le marché très compliqué pour la justice qui ne peut défendre correctement les acteurs les plus faibles. Il convient donc d’être très prudent dans ses achats et ventes pour éviter de se retrouver dans une situation qui, pour l’instant, ne pourra pas être réglée par la justice française.