Bitcoin Ordinals
Tout d'abord il est important de faire la distinction entre la cryptomonnaie que représente bitcoin et la blockchain, ainsi tout au long de l'article, si "bitcoin" est orthographié avec une majuscule il s'agit bien de la blockchain le cas inverse il s'agira alors du coin de bitcoin.
On en a énormément entendu parler ces dernières semaines, l'hébergement de NFTs sur le réseau Bitcoin aurait été rendu possible notamment grâce à un protocole que l'on doit a Casey Rodarmor un des développeurs majeurs du réseau Bitcoin. Dans cet article on revient sur le fonctionnement de ces "artefacts digitaux" comme il les appelle, ainsi que leurs enjeux.
Comment fonctionne Ordinals ?
C'est en principe très simple, la fonction première du protocole Ordinals est de permettre la création de NFTs directement depuis les blocs Bitcoin en évitant les limitations d'espace et restrictions techniques. Pour se faire, ce sont deux mises à jour majeures de Bitcoin que l'on exploite : Taproot et Segwit.
Segwit, la première, datée de 5 ans est un soft-fork, c'est-à-dire une mise à jour optionnelle qui vise à optimiser la taille des transactions pour en faire rentrer plus au sein d'un bloc et ainsi augmenter les tps (transactions per second) par la même occasion. De cette manière on a pu passer de 1650 à 2700 transactions par bloc. Et surtout, cela à permis de voir les blocs passer d'une capacité de stockage maximale de 1 MegaByte à 4MB. Il faut voir cette mise à jour comme une réorganisation des transactions à l'intérieur des blocs.
Taproot, bien plus récente, lancée en 2021 avait pour objectif principal d'augmenter la scalabilité, la confidentialité ainsi que la flexibilité des smart contracts développés sur Bitcoin. Elle a notamment permis d'exploiter au maximum la partie "witness data" des blocs Bitcoin, là où se trouvent les Ordinals. La combinaison de ces deux mises à jour a donc permis à Rodarmor de rendre chaque satoshi non fongible en les numérotant en fonction de leur ordre démission. D'où leur nom : Ordinals. (Pour rappel un satoshi est la plus petite unité de bitcoin qu'il soit, un bitcoin équivaut alors à 100 000 000 satoshis).
Comme sur Ethereum, il est possible d'y héberger des images, des vidéos, des enregistrements ou même du code. On a ainsi vu apparaître des gammes de NFT entières composées de photos, de fichiers audio, ou même de jeux vidéos codés directement depuis les blocs Bitcoin. L'une des plus importantes d'entre elles étant les OrdinalPunks, une collection créée parmi les 650 premières inscriptions directement dérivée des CryptoPunks d'Ethereum.
Il est néanmoins nécessaire (pour le moment) d'utiliser le wallet ORD prévu par Casey à cet effet. Le portefeuille doit lui même être impérativement connecté à un nœud Bitcoin afin de pouvoir suivre chaque transaction opérant sur blockchain.
Les contraintes.
Depuis le départ ce protocole créé une dichotomie au sein de la communauté des bitcoiners. D'une part les utilisateurs les plus conservateurs qui voient Bitcoin uniquement comme un moyen d'échange servant à accueillir des transactions financières et rien de plus. Et d'autre part ceux qui voient en le réseau un potentiel encore inexploité et qui pour certains voudraient même en faire une blockchain d’infrastructure du type d'Ethereum sur laquelle on pourrait créer des applications décentralisées.
Il faut se rendre compte que même si l'augmentation des inscriptions sur ordinals est exponentielle leur nombre reste pour l'instant assez faible. On compte à l'heure où sont écrites ces lignes approximativement 100.000 inscriptions d'après Dune Analytics. Cela n'équivaut à rien de plus que 100 collections classiques de 10 000 pièces sur Ethereum.
Bien entendu utiliser Bitcoin comme base de données et non comme moyen d'échange comme il a initialement été prévu pour n'est pas sans conséquences et cela n'est pas du goût de tout le monde. Bon nombre d'utilisateurs actifs de ce réseau protestent contre l'espace occupé au sein des blocs par les transactions liées a cette nouvelle génération de NFTs. Il ne faut pas oublier que les blocs dans lesquels sont inscrites les transactions sont limités en terme d'espace. Par conséquent cela pourrait avoir comme effet indésirable de congestionner le réseau et d'augmenter les coûts de transaction pour des opérations que beaucoup d'utilisateurs jugent non nécessaires voire totalement inutiles.
Certains détracteurs plus vigoureux vont même jusqu'à qualifier ce nouveau cas d'application de Bitcoin "d'attaque" et préconisent une censure pure et dure de toutes les transactions dites "sales" qui augmenteraient drastiquement le risque de piratage. C'est le cas de Luke Dashjr un autre développeur majeur du réseau Bitcoin qui a twitté dans la foulée que la résistance à la censure de Bitcoin ne justifie pas le développement de projets tels qu'Ordinals qu'il qualifie de stupides.
Les Avantages.
Par convention, les récompenses des mineurs se voient réduites de moitié tous les quatre ans, c'est ce qu'on appelle un halving. Ainsi, un argument souvent retenu par les plus avant-gardistes est le fait que le traitement de ces nouveaux blocs contribuerait à la création de travail pour les mineurs du réseau et donc que la nature de ces transactions ne doit pas être un frein leur activité. Et en effet, on a pu observer une hausse non négligeable des revenus des mineurs ces derniers jours.
L'utilisation de Bitcoin comme infrastructure d'accueil pour ces NFTs confère d'autres avantages. Cela permet d'abord de bénéficier de la grande décentralisation du réseau ainsi que de la sécurité accrue offerte par ce dernier. Là où certaines blockchains se retrouvent vite saturées en cas de forte affluence. Aussi, vous seriez sûrement surpris de savoir combien de projets se contentent d'un simple fichier GoogleDocs comme base de stockage pour les metadatas de leurs collections NFT. A titre de rappel voici ce qui se passe lorsque les metadatas liées à un NFT sont mal conservées. Ici un exemple de ce qui reste d'un NFT dont les metadatas ont été stockées sur FTX (qui je le rappelle, a fait faillite en novembre 2022).
Traditionnellement, lorsqu'un créateur souhaitait stocker les données de son NFT il avait trois choix principaux; Les stocker off-chain sur des plateformes centralisées indépendantes de son contrôle, les héberger lui même et donc se porter garant de leur sécurité ou alors le dernier choix, avoir recours à ce qui se rapproche le plus d'une blockchain en dehors du web3 : IPFS. (Internet Planetary File System). Pour faire court, IPFS est une sorte de registre distribué de fichiers qui permet d'échanger des données de pair à pair de façon décentralisée. Avec Ordinals ce problème appartient à l'histoire ancienne, les données sont stockées directement on-chain ce qui signifie qu'à la fois l'objet numérique et le NFT lui étant lié sont stockés dans les blocks Bitcoin. Voilà pourquoi il convient selon Casey de faire la différence entre simples NFTs et "artefacts digitaux" comme il les appelle.
Enfin.
A leur lancement la philosophie d'Ordinals, était de changer les mentalités à propos de Bitcoin et d'encourager les gens à en s'y intéresser. Le protocole soulève néanmoins beaucoup de questions. Bitcoin doit-il servir à plus qu'à de simples échanges financiers ? Devrait-il chercher à substituer Ethereum ? Ne serait-ce pas là une nouvelle source de danger pour le réseau ? Tant de questions auxquelles on ne peut légitimement répondre. Bitcoin étant construit sur des valeurs de liberté et de décentralisation, chercher à limiter ses cas d'usage serait aller à l'encontre même de cette mentalité. Ceci dit, un point extrêmement positif est qu'Ordinals a permis l'explosion et ainsi la mise en avant de bon nombre de layers 2 qui travaillent en silence depuis des années afin de développer des solutions alternatives sur Bitcoin. Peut-être n'était-ce qu'un passage obligatoire nécessaire à l'avènement de ces projets pour le moins très prometteurs.