Propriété intellectuelle et NFT : Attention à la contrefaçon
Le thème de la propriété intellectuelle est devenu une problématique de plus en plus présente dans le marché naissant des NFT. On constate de plus en plus de plaintes de créateurs dont les œuvres, accessibles en ligne de manière traditionnelle, ont été transformés en NFT sans leur consentement et surtout sans rétribution. Plus encore, on assiste à la naissance de litiges qui donneront lieu à de véritables feuilletons juridiques entre artistes, propriétaires et vendeurs pour des sommes qui commencent à être conséquentes. Alors comment envisager la notion de propriété intellectuelle dans ce nouveau marché ? Comment appréhender le phénomène de contrefaçon qui pollue le marché et quels sont les outils pour l’éviter ?
La notion de propriété intellectuelle face au marché NFT
L'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle dresse une liste non exhaustive de ce que l'on englobe dans les "œuvres de l'esprit". Sont ainsi considérées comme telles les œuvres littéraires, chorégraphiques, musicales, audiovisuelles, artistiques ou encore architecturales. Pour être protégée, une œuvre doit être originale. En d'autres termes elle doit être, selon les termes de la jurisprudence, l’empreinte de la personnalité de l'auteur. Par un arrêt du 12 septembre 2019, la Cour de Justice de l'Union Européenne a de même rappelé qu'« il découle de la jurisprudence constante de la Cour que, pour qu’un objet puisse être regardé comme original, il est à la fois nécessaire et suffisant que celui-ci reflète la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier ».
Si l'originalité de l'œuvre est caractérisée son auteur va pouvoir se prévaloir de droits garantis non seulement en droit français mais aussi à l'international. En matière de propriété intellectuelle, ce créateur dispose du fameux droit d’auteur qui lui permettra de faire reconnaître sa création par le droit de la propriété intellectuelle et donc de faire sanctionner judiciairement tout abus de ce droit.
Au regard de cette protection l’on peut s’interroger sur le phénomène de création de NFT réutilisant des logos de marques, des œuvres picturales, des personnages de tels jeux ou tel film. Il est effectivement plus vendeur pour un artiste de profiter de la réputation d’une œuvre connue pour interpeller un potentiel acheteur (par exemple en insérant la représentation d’un logo ou d’une personne connue). Mais quelle est la limite entre inspiration (ou hommage) et vulgaire plagiat ?
Prenons deux exemples afin d’expliquer une nuance fondamentale, ces deux exemples sont deux collections NFT de créateurs sur OpenSea n’ayant pas obtenu les droits d’auteur : d’un côté la collection NFT « Balls off Dragon Ball » représentant des objets de l’œuvre créé par Akira Toriyama et de l’autre la collection Pixel Chain, représentant différentes œuvres connues dans un format « pixélisé », dont l’un des NFT représente le même thème.
Ici la première collection ne fait que reprendre les images de Dragon Ball, alors que la deuxième présente une interprétation artistique des objets du manga qui ont été produits de la main du créateur dans cette œuvre ‘’pixel’’. La première collection est donc une utilisation frauduleuse car elle réutilise directement l’œuvre de l’esprit du mangaka sans interprétation tandis que la deuxième est une création artistique qui ne fait que surfer sur la vague de popularité du manga mais sans s'approprier les dessins originaux.
Pour prendre un exemple dans le monde de l’art dit ‘’traditionnel’’ nous allons utiliser l’œuvre « Banksy's Pulp Fiction ». L’artiste Banksy n’empiète pas sur les droits de Miramax pour le film Pulpfiction dans cette œuvre pochoir très connu aujourd’hui. Par sa réinterprétation artistique de la scène on ne peut pas lui reprocher une atteinte aux droits d’auteur. Exemple opposé frappant, Quentin Tarantino lui-même, pourtant auteur et réalisateur de Pulpfiction, a essuyé un refus de la société détentrice du droit d’auteur du film, Miramax, de créer une collection de NFT sans son autorisation (affaire judiciaire en cours). On comprend donc alors toute la nuance entre simple inspiration et utilisation frauduleuse.
Le phénomène de contrefaçon
La contrefaçon est l'atteinte portée à un droit de propriété intellectuelle. Elle est caractérisée lorsqu'une personne va reproduire sans l'autorisation de son titulaire, une œuvre protégée, un dessin ou modèle voire même une marque de fabrique. Ainsi, la contrefaçon sera retenue en cas, par exemple, de reproduction d'une photographie sans l'autorisation du photographe ou de diffusion d'une chanson sans l'accord du compositeur et de l'interprète. Pour prendre un exemple direct, la création de NFT qui utiliserait des images directement tirées de film serait considérée comme contrefaçon si le créateur n’a pas l’autorisation du propriétaire (ex : reprise de frame sur des films Disney sans autorisation).
Dans le marché des NFT la contrefaçon pose deux gros problèmes : le vol du travail d’autrui à des fins lucratives et sa conséquence, une mauvaise réputation du marché dans la presse et les réseaux sociaux.
Bien que l’essentiel du marché des NFT porte sur des représentations graphiques, on assiste aussi au même phénomène dans le monde de la musique. L’exemple le plus récent reste celui de HitPiece une plateforme dédiée aux NFT musicaux qui se présentait sur son site comme un catalogue créé afin de « permettre aux fans de collecter des NFT de leurs sons favoris ». Cependant, aucun contrat avec les artistes concernés n'a été conclu par HitPiece qui vendait donc sans l’accord des créateurs ni rémunération. Suite à de nombreuses plaintes, la plateforme ne présente plus ses NFT en vente depuis le 2 février dernier.
Dans la même lignée mais sur un autre type de propriété intellectuelle, Nike a porté plainte très récemment contre StockX, une plateforme américaine de commerce en ligne qui proposait à la vente des NFT reprenant ses modèles sans autorisation en laissant même apparaître le logo. Nike a pu préciser dans cette affaire que le marché des NFT est « devenu un terrain de jeu pour les acteurs de la contrefaçon […] qui utilisent des marques déposées sans autorisation pour vendre leurs produits virtuels et générer des profits mal acquis ». L’on comprend alors facilement l’engouement des grandes marques pour créer leurs propres NFT afin non seulement de lutter contre la contrefaçon en se positionnant officiellement sur le marché, mais aussi d’être le bénéficiaire de ce nouveau marché qui semble fructueux pour les marques.
Si l’on peut croire que le vol de propriété intellectuelle n’a d’intérêt que pour les représentations d’objets, images ou personnages connus, on assiste également au vol d’œuvres d’artistes moins connus. OpenSea, leader en matière d'achat et de vente de NFT, a indiqué fin janvier sur Twitter que "80% des objets créés sur Polygon sont des œuvres plagiées, des fausses collections, ou du spam".
Une autre problématique semble prendre de l'ampleur : l'action de demander à un artiste de créer une ou des images (de manière bénévole ou non) pour ensuite les mettre en vente en NFT sans son consentement. Le simple fait d’acheter une image à un artiste ne donne pas directement les droits de reproduction et de diffusion, cela s’apparente alors à un vol de propriété intellectuelle. C’est d’ailleurs toute la trame de l’affaire entre les créateurs de la collection NFT « Art Wars » et les designers qui affirment ne pas avoir consenti à la vente sous format NFT de leurs œuvres. Ceux-ci, à l'origine même des NFT par leurs créations, s'estiment lésés par le vendeur qui affiche un marketcap de plus de 5 millions de dollars.
Comment éviter la contrefaçon ?
Ce problème qui ne date pas d’hier (la contrefaçon de monnaie, d’art, de montres…) va cependant donner du grain à moudre au monde anti-NFT. L’on reproche alors dans la presse et les réseaux sociaux que le marché est gangrené par le vol, la pâle copie, jetant le discrédit sur tout le secteur composé pourtant d’artistes légitimes et talentueux.
Il s’agit donc de conclure : pour les acheteurs la plupart des copies de collection sont très facilement repérables avec l’historique de la blockchain. Cependant, pour l’achat de crypto Art il convient de faire quelques petites recherches pour ne pas participer au recel :
Vérification du compte du détenteur (A-t-il un lien vers ses réseaux sociaux, son site ?)
Ses œuvres sont-elles homogènes dans sa production ? (Un artiste va avoir ce que l’on appelle une ‘’touche’’ propre à son art et qui se retrouve plus ou moins fortement au sens d’une même collection).
Si c’est une gallérie en ligne : A-t-elle bonne presse ? Est-ce qu’elle semble professionnelle ? (présentation des œuvres et des artistes).
Quant aux vendeurs/créateurs, il est nécessaire de bien s’interroger quand vous utilisez une œuvre déjà existante. Le droit français précise que toutes les productions d'une personne deviennent libres de droits soixante-dix ans après sa mort. Mais attention dans le cas où une société dispose encore des droits (exemple : Disney, marques déposées, etc…). Il faudra alors faire une recherche pour ne pas créer illégalement.
Un dernier exemple récent : Hermès vient d'engager des poursuites aux USA contre un artiste reprenant en NFT les sacs de la fameuse ligne Birkin. Hermès clame, à juste titre, qu'il s'agit d’une copie pure et simple. Dans cet exemple, si l’artiste va être sûrement condamné, les acheteurs seront alors considérés comme faisant partie du recel de contrefaçon et perdront leur NFT et leur investissement (ici on compte pour plus d’un million de dollars dans cette collection Metabirkins).
Rappelons tout de même qu’au-delà de la confiscation de vos NFT vous risquez, selon le Code de la propriété intellectuel, d’être puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende au pénal mais aussi de dommages-intérêts au civil…